Homostratus : Images et réalités d’une mégapole de l’Asie du Sud
La 36è édition du Festival international de Films de Femmes de Créteil est consacré aux réalisatrices de talent venues des cinq continents du 14 au 24 mars 2014. Dans le contexte de l’année croisée France-Vietnam (2013-2014) les réalisatrices vietnamiennes sont à l’honneur. Homostratus (2013) de Pham Siu et Jean-Luc Mello est en compétition fiction.
Il nous semble intéressant de voir l’impact du cinéma fiction vietnamien en particulier concernant les images utilisées comme les signes des réalités contemporaines abordées Urbi orbi1). Sont-elles aussi les mêmes dans les mégapoles de l’Asie du Sud ?
Homostratus2) montre des signes marquant l’évolution moderne et rapide de la mégapole du sud du Vietnam. Des images surprenantes parmi d’autres, qui peuvent offusquer comme un danseur unijambiste sur le quai de la rivière où traversent de gros transporteurs américains, une voiture passant dans une ruelle commerciale où les clients doivent se lever pour la laisser circuler, un magasin de la techno musique à attractions, l’installation d’une caméra de surveillance avec l’accord de l’habitant, la circulation trépidante observée d’une fenêtre donnant sur une rue bruyante, de la fumée dégagée de la plus haute tour de Saïgon sans sécurité, une malade rampant dans un logement vétuste des toilettes (WC à la turque) à son lit en bois, l’homme jetant sa poupée sexuelle du haut d’un immeuble, l’atterrissage de cette poupée à visage européen dans un dancing, le long baiser échangé entre deux jeunes vietnamiens en tête de liste des gens à succès.
Il n’y a pas de conversation soutenue ni de répartie aux titres donnés aux différentes scènes de vie. On peut observer une saisie de détails à comptabiliser. Que doivent faire pour survivre un homme sans travail et son fils sans formation dans un pays où la compétition est imposante ? Sinon, accepter de compter les motocyclettes et par la même occasion de surveiller les gens qui se déplacent en famille sur le même véhicule. Statistiques pour le service de l’environnement ou pour la police de promiscuité ? Ici le donneur d’ordres est un européen parlant vietnamien. D’ailleurs, ce dernier revient donner du travail dont la rémunération va dépendre des comportements du salarié. Intrigué, le salarié demande la raison et la signification anglaise de sa « culpabilité ». Son fils cherche dans son iPad3) et lui dit de faire une auto critique publiquement. Le père réfléchit et finit par se rappeler que la caméra l’a surpris en train de faire l’amour avec une poupée en chiffons. D’abord, il demande l’avis à des copains en les invitant à boire de la bière dans une buvette située à côté d’un tas de matériaux de construction. Ensuite, il va prier les dieux. A la pagode il dépose le sac de couleur jaune contenant l’objet comme offrande. A la fin de la prière, il se décide à se débarrasser de la poupée de taille et de forme humaines. Celle-ci est-elle bien tombée dans un établissement à musiques et jeux ?.
Les images plus au cœur de la mouvance de la société asiatique nous semblent être celles du déroulement du « cadeau ». En effet, un cadeau a été acheté dans une boutique à l’extérieur du centre ville. Le fils l’achemine en canot en pédalant à travers une rivière dont l’eau est sale et polluée. Une fois arrivé à domicile, le fils demande à la boutique techno en face de chez lui de baisser le son car là-haut il y a sa mère qui vient d’être opérée. Le boutiquier exécute sur le champ. Le fils très attentionné, ouvre son cadeau, une boîte remplie de gâteaux en chocolat. Une main prend un gâteau, puis le deuxième. La mère mange avec gourmandise. Au troisième gâteau à moitié entamé, elle le dépose dans la boîte. Elle est morte. Le fils désemparé dans ce logement vide, débarrasse un à un les objets personnels de la défunte. Ces gestes de la vie décèlent encore l’affection d’un fils attentionné, le respect du marchand de la techno qui a baissé les bruits de la musique, le désarroi de la mort survenue à un moment inattendu. La pauvreté prend le relai de la dignité.
En perspectives, que veut souligner Homostratus ?
Qu’en dépit des circonstances l’homme et la nature font corps ? Que la vie n’est pas éternelle ? Malgré ses nombreuses inventions pour vivre dans une société de consommations, les Vietnamiens arrivent à survivre qu’en travaillant beaucoup? Sont-ils ici simplement des regards Urbi orbi par une diaspora en quête de retour au bercail ? Les vieux se sont adaptés à la globalisation avec un forceps. Les jeunes pensent qu’ils doivent foncer à tous prix. Les délaissés pour compte, les pauvres et les démunis comme les victimes vietnamiennes de l’Agent orange/dioxine se meurent au quotidien. Et après ? On vient à parler de remue-méninge, de mercatique et de globalisation. Evidemment on n’a rien sans rien.
Homostratus est le film typique par excellence de la vision du développement moderne et aveugle d’une mégapole asiatique. Il nous semble qu’Homostratus laisse filtrer en particulier un commerce florissant mais détourné, une corruption perceptible mais à yeux fermés, une soumission individuelle mais en contrepartie de bonnes mœurs, une éducation sélective mais pour les fortunés. Tout un art pour dévoiler les atouts du développement durable mais non solidaire du pareil au même à toutes les mégapoles de l’Asie du Sud-est.
Ce film pourrait être pris comme exemple de film fiction et mériterait d’être primé.
Nguyen Dac Nhu-Mai
Lauréate 2010 du Mot d’Or de la Francophonie pour la presse écrite
1) Urbi et orbi Expression qui signifie littéralement: “à la Ville et à l’univers”. Elle composée de Urbi qui est le datif du substantif urbs = la ville et de orbi qui est le datif du substantif orbis = le cercle (terrarium = des terres ou universus = de l’univers, étant sous-entendus), reliés par la conjonction de coordination et. A l’origine l’expression accompagne la bénédiction du pape quand elle s’adresse au monde entier. Plus généralement, elle signifie: “à tout le monde, à qui veut l’entendre”. A noter qu’Urbi prendra toujours une majuscule puisqu’il s’agit en fait de la seule ville de Rome. In http://www.locutio.net/modules.php?name=Encyclopedia&op=content&tid=6562
2) Un film de Jean-Luc Mello et Siu Pham
Tourné à Saigon – Production Sunny Independent Pictures et HKFilm
Langue: Vietnamien- Sous-titre: English
In https://www.youtube.com/user/siupham publié le 26 juin 2013
3) L’iPad est une tablette tactile conçue et développée par Apple. Celle-ci est particulièrement orientée vers les médias tels que les livres, journaux, magazines, films, musiques, jeux, mais aussi vers l’Internet, l’accès à ses courriers électroniques et la bureautique simple..
